Nouveaux indicateurs pour mieux prescrire les IPP en cas d’excès d’acidité gastrique
16-12-2024
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des médicaments souvent prescrits pour traiter les problèmes d’une acidité gastrique trop importante. Pour réduire l’utilisation et la prescription superflue de ces IPP, deux nouveaux indicateurs viennent d’être publiés ce 16 décembre 2024 au Moniteur belge, sur proposition du Conseil national de la promotion de la qualité (CNPQ) de l’INAMI. Des indicateurs importants pour lutter contre les effets indésirables potentiels pour la santé et contre les coûts élevés liés à une utilisation inutile d’IPP à long terme.
Ces indicateurs ont pour but de conscientiser et de responsabiliser davantage encore les dispensateurs de soins ou les prescripteurs en leur permettant de comparer leur pratique individuelle avec ce qui est scientifiquement et médicalement reconnu comme approprié. Tout cela s’inscrit dans la stratégie de l’INAMI en matière d’appropriate care.
Sur cette page :
Les indicateurs de déviation manifeste par rapport aux bonnes pratiques médicales visent à améliorer la qualité et l’efficacité des soins pour les patients, à réduire les risques pour leur santé, les soins superflus ou inutilement coûteux.
Ces indicateurs sont définis par le Conseil national de la promotion de la qualité (CNPQ) et le Comité d'évaluation des pratiques médicales en matière de médicaments (CEM). Le Service d'évaluation et de contrôle médicaux (SECM) de l’INAMI, les associations et institutions scientifiques qui bénéficient d’une notoriété générale peuvent aussi soumettre, au CNPQ et au CEM, un dossier scientifique proposant un ou plusieurs indicateurs. Pour rappel, le CNPQ est composé, entre autres, de médecins généralistes et spécialistes, de médecins représentant les universités, d’organisations médicales scientifiques et des mutualités.
Deux repères : la prévalence des patients sous IPP et la durée moyenne de traitement
Le premier indicateur évalue la prévalence des patients traités par IPP. Une prévalence élevée chez un prescripteur donné pourrait indiquer que l’indication a été déterminée de façon insuffisamment précise. Le CNPQ a fixé le pourcentage de patients ayant une prescription d’IPP, par rapport au nombre total de patients ayant au moins une prescription pour une spécialité pharmaceutique, à 25 % maximum.
Le deuxième indicateur est une mesure de la durée moyenne de traitement par IPP. Si un prescripteur obtient un score élevé pour cet indicateur, cela peut indiquer la poursuite inutile de traitement par IPP. La surprescription d’IPP avec un dosage double augmente aussi cet indicateur. Le CNPQ a fixé le nombre total de DDD (defined daily dose) d’IPP prescrites par rapport au nombre total de patients ayant une prescription pour un IPP à 90 DDD maximum.
Pourquoi cette nécessité de nouveaux indicateurs pour la prescription d’IPP ?
Les inhibiteurs de la pompe à protons sont un groupe des médicaments anti-acides utilisés pour traiter des maladies découlant d’une production excédentaire d’acide gastrique. Ils réduisent cette production d’acide gastrique en bloquant la pompe à protons dans la mucqeuse gastrique.
Les IPP font partie depuis de nombreuses années du top 25 des médicaments délivrés en ambulatoire qui coûtent le plus cher à l’assurance soins de santé. Leur utilisation a considérablement augmenté ces dernières années. Or, les recherches ont montré qu'une grande partie de leur usage se fait en dehors des indications normales, avec notamment l’administration de doses élevées injustifiées et la prolongation de la durée des traitements. En plus des coûts élevés associés à l’utilisation inutile à long terme des IPP, on craint de plus en plus d’effets indésirables potentiels qui devraient inciter à la prudence. Un comportement de prescription plus responsable est donc nécessaire.
- La Commission de remboursement des médicaments (CRM) de l’INAMI a établi des recommandations relatives à l’utilisation des IPP. Pour évaluer le respect de ces recommandations, le Comité d’évaluation des pratiques médicales en matière de médicaments (CEM) a élaboré des indicateurs, sans toutefois les assortir d’une valeur seuil. Ces indicateurs ont été publiés au Moniteur belge le 5 novembre 2012.
- En 2019, les médecins généralistes ont reçu un feedback individuel reprenant entre autres leur comportement en matière de prescription d’IPP. Cette invitation à la réflexion individuelle et à un débat mutuel entre confrères (incitation au peer-review) n’a malheureusement pas conduit à une diminution substantielle de la consommation d’IPP et s’est donc révélée insuffisante à elle seule.
- En 2023, les médecins généralistes étaient responsables de 94,74 % des prescriptions et de 85,80 % des DDD d’IPP délivrés en pharmacie publique.
Le volume d’IPP prescrit n’ayant pas diminué substantiellement, des valeurs seuils sont désormais ajoutées.
Ces nouveaux indicateurs répondent à la volonté du gouvernement précédent d’agir contre le taux élevé de prescription de médicaments liés aux problèmes d’acidité gastrique, comme décrit dans l’accord de gouvernement de septembre 2020 : « De manière générale, la Belgique fait toujours partie des pays présentant les taux de prescription les plus élevés, ce qui se traduit par une consommation de médicaments supérieure à celle des pays voisins, notamment d’antibiotiques, d’antidépresseurs et de médicaments pour les problèmes de sécrétion d’acides gastriques. Dès lors, il sera nécessaire de développer une nouvelle série de mesures axées sur les volumes et le comportement des prescripteurs ».
Ces nouveaux indicateurs répondent aussi à la demande du Comité de l’assurance et du Conseil général de l’INAMI d’octobre 2024 de prendre avant fin 2024 des mesures concrètes pour parvenir à une prescription rationnelle des médicaments délivrés en pharmacies publiques.
Le Dr Gilbert Bejjani, président du CNPQ explique :
« Le CNPQ soutient les nouveaux indicateurs visant à réduire le volume excessif d’IPP prescrits et délivrés, et insiste sur le fait que les gains d’efficacité possibles obtenus par l’introduction des indicateurs soient utilisés de manière efficiente dans le secteur de la santé pour optimiser davantage la qualité des soins. Toutefois, le CNPQ ne souhaite pas assumer une fonction de contrôle à cet égard, mais souhaite agir en tant que liant en proposant cela.
L’attention est également attirée sur le soutien actif des médecins généralistes par les gastro-entérologues pour aider à réduire la prescription d’IPP. Le CNPQ ne veut certainement pas stigmatiser une catégorie de soignants ou de médecins mais souhaite développer une nouvelle dynamique à l’avenir et apportera sa pleine coopération à l’introduction de nouveaux indicateurs qui visent principalement à réduire les volumes excessifs de prestations techniques souvent effectuées inutilement dans toutes les spécialités médicales. »
Même si chaque indicateur peut avoir un impact budgétaire, leur objectif n’est en aucun cas économique. Des économies seront réalisées dans certains cas, tandis que des dépenses supplémentaires en vue de soins mieux adaptés seront nécessaires dans d’autres cas. Si des ressources venaient toutefois à être libérées, elles seraient investies dans les soins de santé.
La réduction des dépenses annuelles de l’assurance soins de santé est estimée à 52 millions d'euros au maximum dans le cas de ces deux nouveaux indicateurs. Les dépenses propres pour les patients pourraient diminuer de 15,6 millions d’euros, augmentant ainsi leur pouvoir d’achat.
Toute personne qui nécessite un traitement par IPP en bénéficiera. La liberté thérapeutique du médecin reste intacte.
D’autres mesures d’accompagnement
L’introduction d’indicateurs avec un seuil de justification pour les IPP nécessite des mesures d’accompagnement supplémentaires. Elles sont reprises dans le dossier CNPQ, disponible sur le site web de l’INAMI.
Le Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique (CBIP) propose aussi des informations et des
e-learning aux médecins, pharmaciens et patients. Tous les acteurs concernés sont soutenus davantage grâce à des outils pratiques leur permettant de suivre les lignes directrices et de contribuer ainsi à réduire la prise inutiles d’IPP.
Les gastro-entérologues apportent eux aussi leur soutien :
Pr Dr Hubert Piessevaux, Chef de service du Service d’hépato-gastro-entérologie des Cliniques Universitaires Saint-Luc (UCLouvain) :
« Les gastro-entérologues soulignent le fait que le reflux gastro-œsophagien, l’indication la plus courante pour l’utilisation à long terme des IPP, est une maladie chronique. Cependant, cela ne signifie pas qu’un traitement continu est toujours nécessaire. Ils soulignent le concept de « dose minimale efficace » qui peut parfois conduire à des périodes sans médicament. En outre, ils soulignent également l’utilité des mesures de style de vie, en particulier la perte de poids le cas échéant. Ils souhaitent également souligner le fait que le diagnostic de reflux gastro-œsophagien doit toujours être remis en question en cas de résistance au traitement avant d’augmenter éventuellement la dose. »
Au sein du KCE, l’étude clinique PEPPER est en cours et devrait aboutir à terme à des propositions concrètes pour réduire progressivement et efficacement la surconsommation d’IPP, mais aussi apporter un soutien maximal aux prescripteurs dans l’accompagnement de leurs patients. Le professeur Jan Tack (KU Leuven) dirige cette étude dans la bonne direction.
Pr Dr Jan Tack, Chef de service du Service de gastro-entérologie et hépatologie de l’UZ Leuven (KU Leuven) et Président de la Rome Foundation :
« Les IPP constituent généralement un traitement sûr et efficace pour un certain nombre d’affections de la partie supérieure de l’abdomen. Cependant, au cours des dernières années, leur utilisation dans notre pays a évolué à un niveau qui semble excessif en termes de durée et de dosage. Des recherches récentes montrent qu’un grand nombre de patients, pour lesquels l’utilisation chronique d’IPP n’est pas strictement indiquée, peuvent interrompre cette utilisation tout en conservant le contrôle des symptômes et la qualité de vie. Il est important que les médecins connaissent les indications de l’utilisation chronique des IPP, qu’ils connaissent les alternatives au traitement par IPP et, dans un avenir proche, qu’ils puissent recevoir des données scientifiques sur l’approche la plus efficace pour lutter contre l’utilisation chronique inutile d’IPP. »
Sensibiliser et travailler avec les médecins généralistes
Le Service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM) de l’INAMI enverra prochainement un courrier à tous les médecins concernés dans le but de les sensibiliser au respect de ces indicateurs.
Dans les six mois suivant la publication des indicateurs au Moniteur belge, le SECM enverra un feedback individuel à chaque médecin généraliste ayant prescrit un IPP à minimum 20 patients différents par année civile, au cours des 5 dernières années (c’est-à-dire avant la publication des indicateurs). Cela leur permettra de se situer par rapport aux indicateurs de bonne pratique et à leurs confrères, et si nécessaire d’ajuster leur comportement de prescription.
Le respect des indicateurs sera évalué annuellement, dès que seront disponibles les données d’une année civile complète après publication des indicateurs. Chaque prescripteur recevra donc annuellement son feedback individuel. En cas de dépassement simultané et répété des valeurs seuils des deux indicateurs, le SECM pourra demander au dispensateur de soins de se justifier. Dès lors, cela pourra se faire quand les données de 2025 et 2026 seront disponibles.
Comme l’indique le terme « indicateur », il ne s’agit pas d’une norme absolue. Il est bien entendu possible de se justifier individuellement en cas de dépassement des valeurs seuils. Les indicateurs permettent aux dispensateurs de soins de justifier leurs écarts éventuels, en tenant compte de leur situation spécifique et seulement si le SECM le leur demande. Ainsi, un écart par rapport à un indicateur n'entraîne pas automatiquement une mesure.
Cela signifie concrètement qu’une mesure éventuelle ne pourra être prise qu’une fois achevé le processus d’évaluation complet (à savoir au plus tôt à partir de juillet 2027) et après le temps nécessaire au processus de justification.
Plus d’infos sur les indicateurs de déviation manifeste par rapport aux bonnes pratiques médicales