Antidouleurs : Notre analyse à propos de l'usage inquiétant de 5 opioïdes (hors hospitalisation)
En 10 ans, la consommation de 5 opioïdes a considérablement augmenté. Notre Service d'évaluation et de contrôle médicaux (SECM) faisait ce constat en 2017, et s’est demandé dès lors si les patients utilisaient toujours ces antidouleurs correctement.
L'usage impropre des opioïdes a en effet des répercussions graves sur la santé du patient, sur la sécurité publique et sur le budget de l'assurance soins de santé et indemnités (SSI). Nous avions donc plaidé en faveur d'une approche globale du phénomène.
En 10 ans, la consommation de 5 opioïdes a considérablement augmenté. Notre Service d'évaluation et de contrôle médicaux (SECM) faisait ce constat en 2017, et s’est demandé dès lors si les patients utilisaient toujours ces antidouleurs correctement.
L'usage impropre des opioïdes a en effet des répercussions graves sur la santé du patient, sur la sécurité publique et sur le budget de l'assurance soins de santé et indemnités (SSI). Nous avions donc plaidé en faveur d'une approche globale du phénomène.
5 opioïdes sur la sellette
Les opioïdes sont des antidouleurs morphiniques indiqués dans le traitement de douleurs modérées à sévères.
Notre SECM a examiné l'usage de 5 de ces opioïdes :
- tramadol (par ex. Contramal®)
- oxycodone (par ex. Oxynorm®)
- tilidine (par ex. Valtran®)
- patchs de fentanyl (par ex. Durogesic®)
- piritramide (par ex. Dipidolor®)
En 2016, l'usage de ces 5 opioïdes représentait environ 80 % de l'usage total de tous les opioïdes remboursables par l'assurance soins de santé belge.
Nous sommes régulièrement alertés, entre autres par l'Ordre des médecins et par l'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), au sujet de dispensateurs de soins qui prescrivent beaucoup d'opioïdes et de patients qui en consomment des doses élevées. Lorsque nous constatons des doses élevées dans les « profils » de prescription et de médication de dispensateurs de soins et de patients, nous démarrons une enquête.
Consommation et coût pour l’assurance : en augmentation de 2006 à 2016
De manière générale, l'usage des 5 opioïdes analysés a augmenté. Nous avons comparé les chiffres de 2006 avec ceux de 2016 :
- Le nombre de patients auxquels le pharmacien (hors pharmacie d’hôpitaux) a délivré au moins un conditionnement au cours d’une année est passé de 638.939 patients en 2006 à 1.186.943 en 2016. Ceci représente environ 10 % de la population.
- Le nombre de doses journalières délivrées (en DDD = defined daily dose ou dose d’entretien par jour) est passé de 43.771.008 DDD en 2006 à 78.621.901 en 2016.
- Le coût pour l'assurance soins de santé de la consommation d'opioïdes s’élevait à 44 355 549 EUR en 2006. Ce montant a atteint 55.410.271 EUR en 2016.
Une consommation élevée et chronique chez les moins de 50 ans
Les patients qui en font un usage élevé et chronique consomment plus de 365 doses journalières sur 1 an. Ainsi, en 2016, plus de 30.300 patients se sont procuré suffisamment d'opioïdes pour pouvoir s’administrer en moyenne plus d'1 dose journalière. Plus de 7.300 patients se sont même procuré en moyenne plus de 2 doses journalières.
Nous avons constaté que plus de 20 % de ces patients avec un usage élevé et chronique étaient âgés de moins de 50 ans. Une surprise puisqu’il semblerait plus logique que la douleur chronique touche plutôt les personnes âgées.
Au cours des prochaines années, la consommation par ces patients de moins de 50 ans est susceptible d’augmenter encore. En effet, un usage prolongé d'opioïdes peut créer une dépendance et contribuer à accroître la sensibilité des patients à la douleur. De ce fait, à long terme, leur besoin en antidouleurs morphiniques augmente.
Lien entre opioïdes et « shopping médical »
Certains utilisateurs d'opioïdes font du « shopping médical » : ils demandent des prescriptions à plusieurs médecins et/ou se procurent les médicaments dans plusieurs pharmacies. Ni les prescripteurs, ni les pharmaciens ne s’en rendent compte, et ignorent donc ce que leurs patients se font prescrire ou se procurent chez un autre dispensateur.
Certains patients vont jusqu’à recourir à des dizaines de médecins et de pharmaciens différents pour s'approvisionner. Ceci indique clairement un usage impropre de leurs opioïdes.
Conséquences d’un usage abusif d’opioïdes : plusieurs niveaux
Un usage élevé et chronique d'opioïdes peut être très dangereux, en premier lieu pour le patient lui-même. Quelques effets secondaires possibles :
- accoutumance aux médicaments : une dose plus élevée devient alors nécessaire pour un même effet
- sensibilité accrue à la douleur, qui entraine aussi une augmentation de la consommation
- dépendance avec un danger pour la santé
- somnolence avec des risques d'accidents de la route et du travail, une efficacité moindre au travail.
L'augmentation de la consommation d'opioïdes est aussi néfaste pour :
- l'assurance soins de santé : augmentation des dépenses pour les médicaments, les traitements
- l’assurance indemnités : augmentation de l'incapacité de travail
- la sécurité routière : somnolence au volant
- la sécurité publique : criminalité (par ex. la falsification de prescriptions médicales ou le trafic de médicaments)
- la productivité économique : troubles de la concentration ou indisponibilité sur le marché de l'emploi.
Une approche globale : indispensable face à un problème sociétal
Pour éviter qu'un usage impropre d'opioïdes ne soit une menace pour la société, nous préconisons une approche globale par les différents acteurs de terrain. Cette approche implique de :
- de mener une recherche scientifique relative aux opioïdes et à leurs effets
- de former tous les acteurs de terrain et de les informer des règles pour un usage correct des opioïdes
- d’améliorer le dépistage d’un usage impropre et du « shopping médical »
- de permettre aux prescripteurs et aux pharmaciens d’accéder aux « profils de médicaments » des patients.
Notre SECM a déjà pris plusieurs initiatives :
- recenser l'usage de 5 opioïdes
- mener des contrôles pour contrer l'usage impropre des opioïdes
- sensibiliser plusieurs acteurs, entre autres via
- la presse
- la concertation avec l'Ordre des médecins, l'Ordre des pharmaciens, des associations scientifiques dont la « Belgian Pain Society », les commissions médicales provinciales, l'AFMPS, le SPF Santé publique, les associations professionnelles de pharmaciens, etc.
- des lectures dans certains groupes locaux d’évaluation médicale (GLEM) et cercles de médecins généralistes, dans des universités et lors de congrès (International Conference on Opioids à Boston, European Union of Medicine in Assurance and Social Security à Maastricht).
Nos analyse et propositions : les résultats d’une bonne synergie
Les 3 directions Contrôle, Information et Expertise de notre SECM ont coopéré étroitement pour optimaliser l'impact du projet. La Direction Expertise a analysé les données de facturation. Cette analyse a permis à la Direction Contrôle de mener des contrôles ciblés. La Direction Information a diffusé les résultats du projet à la fois auprès des intéressés et du grand public.
En collaboration avec les différents acteurs de terrain, nous avons proposé des solutions structurelles aux instances concernées pour améliorer la qualité de la prescription et de la délivrance d'opioïdes, ainsi que le contrôle de l’usage qu’en fait le patient.